J'ai posté ce dessin avec un "Écris-moi cette histoire" et Fanny (qui écrit des livres) l'a fait.
Ça te fait mal de me regarder me retourner la tête au cani du coin ? Au blanc limé dès huit heures du matin? Ça te fait violence de me regarder picoler ? Elle est où la violence, là?
Sans doute que le spectacle n’est pas beau à voir. Je dois avouer, je ne me suis pas regardé depuis… Je ne sais même plus. Cela doit faire quelques années. Pas beau à voir, hein ? Pas vrai? Baisse pas les yeux, c’est pire. Regarde-moi. Regarde-moi, je te dis. Tu sais quoi ? Je vais le faire. Pour toi : me regarder dans le petit miroir plein de tâches de pisse des chiottes. Je vais le faire pour toi. Me regarder en face. Dans l’espace exigu des chiottes. Sur le miroir cassé. Cassé et sale.
C’est vrai. C’est moche. Ce reflet, là. Découpé en petits morceaux de miroir et tacheté de pisse desséchée, il n’est pas beau à voir. Je te le concède. Mon reflet me dégoûte. Il n’y a rien d’harmonieux.
Tout est laid.
Tout est triste.
Triste comme l’image d’un vieux qui picole tous les jours depuis quinze ans.
Laid comme peut l’être celui qui tourne au blanc limé toute la journée. Toutes les journées.
Imbibé.
Détruit.
Un débris.
Mais tu vois, j’arrive pourtant à me regarder. Je me tiens face au miroir depuis un long moment déjà. Je soutiens mon regard. J’accepte les yeux vitreux, les rides et les creux, le teint jauni, le double-menton qui tombe.
Tu sais pourquoi j’accepte de me regarder ?
Quand je vois mes yeux, ce sont les siens que je regarde.
Elle était comme moi. Pas mieux. Pas pire. On n’était pas des beautés tous les deux, mais on s’aimait simplement, entre deux coups de blanc. Elle me racontait des mots d’amour, elle embrassait mes lèvres desséchées. Elle serrait contre son visage ma tête de vieux clown triste. Elle enlevait les pellicules qui tombaient sur mes épaules. De l’amour, je te dis.
Tellement d’amour que c’était trop.
On n’emmerdait personne, on espérait qu’on nous oublierait là. Pour les petites gens, le plus petit des bonheurs, c’est déjà trop beau pour qu’on nous le laisse. Notre amour de tous les jours, la vie, ça l’a fait chier de le voir. Elle voulait qu’on en bave, le plus possible. Alors on me l’a prise, ma moitié de verre plein, ma moitié des jours gris, ma moitié d’amour. Elle a disparu au fond d’un grand trou qu’il a. fallu reboucher. Malgré mes cris. Malgré mes pleurs.
Ce jour-là, j’ai arrêté de me regarder.
Je suis entré dans ce bistro miteux. J’ai bu. Je bois encore. Et je dois supporter vos regards désapprobateurs. Je dois souffrir vos remarques de bien-pensants.
Mais tu sais, j’en ai rien à foutre de te dégoûter. Tu peux détourner les yeux tant que tu veux.
Pour moi, la vraie violence, c’est qu’il n’y ait plus qu’un verre à côté de cette bouteille.
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